vendredi 2 septembre 2011

Succomber à la sensualité toscane

Il me fait plaisir de mettre à votre disposition quelques articles que je signais en tant que collaboratrice spéciale du quotidien Le Soleil. Le texte qui suit a fait l'objet d'un article qui a été publié dans le cahier Voyages du quotidien, le 9 juillet 2005.

Gagné, Marie-Josée
Collaboration spéciale

"Je devine que ton corps s'arrondit quotidiennement. Bientôt, tu ressembleras à ces irrésistibles collines toscanes. Ces rondeurs sans égal ont sans aucun doute contribué à la venue de nombreux peintres, sculpteurs et autres artistes ici au sud de la Toscane. Ils s'imaginaient peut-être ainsi vivre entre les seins d'une femme."

Ce sont plus ou moins les mots que je me surprenais à écrire à mon amie Debbie alors que je me trouvais en campagne dans la province de Sienne au cours des mois de mai et de juin. Alors, prenez garde ! Ceci peut arriver à toute personne qui succombe à la sensualité toscane. Un à un, vos sens seront envahis. Vos yeux seront émerveillés, votre nez séduit, vos oreilles comblées, votre bouche enchantée, et je reviendrai sur votre toucher.

On ne peut qu'admirer ces Toscans qui ont su dompter ce paysage lunaire que sont les crêtes siennoises. En aplanissant ces pointes surgissant du sol pour mieux les cultiver, ils ont su livrer la base de ce qui allait devenir un art de vivre. Ici, tout respire l'harmonie. En mai, des verts cyprès, semblant de soie ou de velours, savent captiver le regard alors que la neige de l'hiver et la pluie du printemps ont fourni à la terre ce qu'il lui faut pour traverser l'été torride qui suivra.

En juin, graduellement, le paysage évolue sous nos yeux et les mosaïques se transforment. Une blonde toscane s'affirme progressivement dans les collines. Cette blonde, c'est le blé. Le temps du séchage est arrivé. À ses côtés, se révèle de manière tranquille un grand brun, foncé. C'est l'épeautre, vieux cousin du blé qui règne souvent à table dans ce coin d'Italie. Tout est magnifiquement dessiné. Une beauté disciplinée mais absente de rigidité. Aucune clôture ne sépare les champs les uns des autres ; laissons plutôt les céréales et la vigne créer leurs propres limites, avec l'attention de ceux et celles qui les sèment, plantent, soignent et récoltent.

Le ciel est bleu. La vie est douce. Qu'est-ce que j'entends ?

Est-ce les cloches au cou des brebis ou plutôt celles d'une des cinq églises du village voisin ? Les premières nous rappellent le pecorino, ce fromage local qu'il est possible de trouver sous toutes les variantes alors que les deuxièmes nous rappellent le temps. Mais puisque les heures se suivent et se ressemblent, il vaut mieux faire un détour et aller saluer le berger plutôt que de se faire croire que le temps presse.

Coucou, coucou ! Rien à voir avec celui fait de bois. Lui, c'est le vrai. Mais je crois que la Toscane a également chez lui des effets pervers car il se fait entendre à des heures on ne peut moins précises. C'est son affaire et c'est une joie pour les oreilles d'entendre cet oiseau qui se fait très timide lorsqu'on tente de l'apercevoir.

Ah ! Généreux dans ses fleurs, jaune de par sa couleur, subtil dans son parfum, les Toscans aiment bien appeler le genêt maggio (mois de mai) puisqu'on le voit éclore à cette époque de l'année. Ces massifs jaunes tranchent magnifiquement bien avec le fond de toile que nous offrent les oliviers. Ces derniers, en juin, nous feront voir leur floraison de blanc vêtu. Du sucre en poudre semble alors avoir été déposé sur ces arbres de paix qui donneront leurs fruits fin novembre, début décembre.

Mais que dire de la faim qui vous vient lorsque vous franchissez la montée qui vous mène à votre chez-vous au pas de course ? Y a de quoi demander d'être invité ce soir. Celle ou celui qui prépare le repas est digne d'une demande formelle en mariage, si ce n'est déjà fait.

Ils vous diront que c'est facile, rien de plus simple à faire. Et vous les regarderez, un peu incrédules. Que c'est bon ! On se délecte à chaque repas et on repassera en matière de ligne.

Cette panzanella faite avec du pain rassis que l'on mouille, que l'on tord et auquel on ajoute tomates, oignons, concombres, basilic, huile d'olive et un peu de vinaigre n'a pas son pareil quand le mercure dépasse les 30 degrés Celsius. Et que dire de ces longs picis (prononcer pichi), pâte typique faite à partir d'eau et de farine et de cette sauce à la viande préparée par mon amie Sandra où la tomate est absente mais le canard bien présent après avoir mijoté des heures durant. Miam-miam !

Certaines personnes sont plus lentes que d'autres, c'est vrai. Je crois que c'est mon cas puisque j'ai découvert ce coin d'Italie à l'aube de ma quarantaine. Rosanna, elle, l'a compris depuis longtemps puisqu'elle y est née. L'hiver, elle vit à Florence, où les concerts, le théâtre et les musées affluent. Mais, à tous les mois d'avril, Rosanna retrouve sa propriété ici, en plein centre du village de Montefollonico.

J'ai fait sa connaissance grâce à mon amie Dania. Je suis passée au moins une centaine de fois devant chez elle au cours des deux dernières années. En aucun cas, je n'ai pu me douter que derrière ces murs un peu fanés se cachait la plus belle propriété du village. Le jour de ma visite, en cette fin d'après-midi, j'ai eu le privilège de rencontrer une dame et une atmosphère inoubliables. Tout comme sa propriétaire, c'est un endroit sans âge, un jardin suspendu où règnent colonnes romaines, palmiers, parfum envoûtant de jasmin. Une maison empreinte de sobriété, de sérénité et de bon goût. Le panorama vous permet de contempler au sud Montepulciano et Pienza, et au nord, le Val di Chiana, cette vallée où l'on élève les bovins qui vous permettront de déguster la meilleure viande de la région sinon de toute l'Italie, la Fiorentina. Rosanna habitera sa résidence jusqu'à l'automne car sans chauffage, la maison n'offre pas le confort souhaité quand l'hiver se pointe le bout du nez.

On m'avait prévenue que je succomberais irrésistiblement au charme de Rosanna et de ce lieu privé. On m'avait également informée que je serais touchée par ces Toscans que j'aurais le privilège de croiser et pour certains de découvrir. Dania, Mario, tous m'avaient assurée que je succomberais à chacun des éléments réunis sous cette sensualité toscane. Ils avaient bien raison.

Cet article a fait la une du cahier Voyages du quotidien Le Soleil, le 9 juillet 2005. Pour toute utilisation autre que personnelle, vous êtes invité à mentionner la source.

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